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PRATIQUE THÉRAPEUTIQUE TRANSCULTURELLE

Comment se situer en tant que thérapeute auprès des mineurs africains non accompagnés, (MNA), qui ont pour caractéristique d’être pris entre deux mondes différents ? Il faut connaître des éléments de leur culture et de leur situation.

 

LA RÉMANENCE DES STRUCTURES PARENTALES

Parmi les particularités culturelles les plus marquantes qui déterminent les MNA, retenons d’abord leurs relations parentales d’origine, patri- ou matrilinéaires, qui perdurent dans le monde actuel même si elles se sont partiellement occidentalisées au contact de l’urbanisation croissante et de la généralisation des nouveaux modes de communication. Dans les systèmes de parenté traditionnels les relations de filiation entre parents appartenant à une même descendance lignagère, fondées sur la soumission des cadets aux aînés, sont nettement séparées des relations entre alliés, beaux-frères et belles-sœurs, qui reposent sur des redevances symboliques et des relations à plaisanterie. Cette séparation socialement bien  établie entre consanguins et alliés a valeur en elle-même d’interdit de l’inceste, et implique que les malheurs et les avatars des ambiguïtés psychologiques génératrices d’angoisse soient déplacés sur un autre domaine que celui de la parenté, à savoir dans le monde trouble de la sorcellerie. Autrement dit, si pour les Occidentaux la cause des souffrances est interne à notre mode de vie parental et social  – si je souffre, c’est que j’ai commis une erreur, voire une faute  –, dans le monde traditionnel africain la cause est externe – si je souffre, c’est qu’un présumé sorcier ou marabout relevant d’un au-delà inconnu me veut du mal. La sorcellerie et le maraboutage y sont de ce fait l’expression dominante du mal.

Parmi les jeunes immigrés d’origine africaine que j’ai rencontrés, cette conception du mal perdure de façon latente dans leurs esprits sous diverses formes. Lorsqu’un reproche leur est adressé, il le récuse en disant : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre. » Si cette réaction est très présente chez tout un chacun, et plus particulièrement chez les jeunes qui sont en mal d’identité, il faut admettre que les terreaux dans lesquels s’enracine cette accusation  ne sont pas de même nature selon les cultures. Pour les jeunes d’origine africaine, cette conception implique surtout qu’à l’horizon des activités humaines, existe un au-delà maléfique inhumain qui, tout-puissant, peut devenir occasionnellement inhibant, voire paralysant. Le jeune qui se sent maudit déclare : « Le regard des autres me tue », « je ne me sens pas bien quand il y a du monde », « un esprit me veut du mal. » La sorcellerie est dans son fond une expression de la persécution.

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LA RÉMANENCE DES STRUCTURES PARENTALES
LA SORCELLERIE FONDÉE SUR UN SAVOIR ABSOLU

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Dans la tradition africaine l’agent du mal, le sorcier persécuteur n’est pas seulement tenu pour omnipotent, mais aussi et surtout pour omniscient ; il  est celui qui sait et qui, en conséquence, est au-dessus des autres afin de les dominer et les détruire. Le savoir est dans ce cadre étroitement associé au mal ; il n’est pas considéré comme bon. Il en résulte que, dans les palabres traditionnelles  qui alimentent les conflits, les protagonistes se récusent en affirmant : « Je ne sais pas », « je ne connais rien à cette affaire ». Le savoir en question n’a rien à voir avec la connaissance de faits concrets, classables et ordonnables en fonction de coordonnées spatio-temporelles prédéfinies. C’est un savoir qui ne s’apprend pas, car, sans logique ni loi, il est le véhicule des haines et des amours non avoués qui alimentent inconsciemment les passions et donne corps aux antagonismes. Si cette distinction entre connaissance et savoir est culturellement établie pour nous, elle reste souvent indistincte dans l’esprit des jeunes venant d’Afrique. C’est pourquoi il est préférable d’éviter de les pousser à faire état de ce qu’ils savent, il vaut mieux leur faire décrire les événements afin qu’ils puissent se les approprier sans crainte d’en avoir trop dit ou d’y être trop impliqué. Comme en Afrique la parole n’est jamais utilisée traditionnellement pour décrire une situation et l’expliquer, mais pour communiquer selon des modalités convenues, elle n’est pas entièrement libre. Il faut donc, autant que possible, reprendre avec les jeunes les faits et leur faire préciser les lieux et les personnes concernées afin qu’ils puissent se situer pacifiquement par rapport aux autres.

Pour ne pas donner non plus trop de prise au savoir culturellement confondu avec la connaissance, il vaut mieux éviter les interprétations dont la sagesse africaine n’emprunte pas le chemin. Cette façon de penser peut paraître impropre dans notre société de l’écrit, livresque et scientifique, où tout s’explique, subjectivité et réalités étant imbriquées. On retiendra cependant que dans la culture africaine l’absence de savoir est dans son fond considérée comme positive ; elle est tout à la fois le signe que l’on n’a rien à voir avec le monde de la sorcellerie et qu’on est en paix avec ses proches. Autant les savoirs conjugués avec la connaissance se referment sur eux-mêmes et bloquent les jeunes dans une communication préétablie chargée d’ambiguïté, autant l’absence de savoir sans préjugés les ouvre aux autres et aux nouveautés. La thérapie, qui avalise cette sagesse, repose ainsi à la base sur une absence de valeur, ni bonne ni mauvaise, qui permet de se dégager des  affaires confuses et angoissantes, et d’expérimenter la liberté. Dans ce cas le thérapeute est respecté s’il tient la place du tiers qui ne prend pas parti. La neutralité bienveillante est plus appropriée que l’identification à un ordre de valeurs à transmettre.

LA SORCELLERIE FONDÉE SUR UN SAVOIR ABSOLU
LA DIFFÉRENCE DES GENRES

Les filles s’inscrivent plus facilement que les garçons dans une intervention thérapeutique, car elles se tiennent plus qu’eux à distance de leurs paroles. Toutefois, quand elles ont subi un viol ou diverses agressions, elles refusent net au premier abord d’en parler, parce que cette évocation leur fait revivre de mauvais souvenirs, et implique que, dans notre société, l’agresseur soit sanctionné. « C’est anormal ce qui s’est passé, ne faudrait-il pas porter plainte contre cet homme qui vous a meurtrie ? » - « Je ne veux pas, il va se venger contre moi, on va me reprocher d’avoir provoqué le garçon… » Dans le milieu africain, les femmes sont plus souvent tenues responsables que les hommes de ce qui ne va pas. Mais en dehors de ces traumatismes douloureux, lorsque les filles ne se sentent ni jugées ni objet d’une demande particulière, elles peuvent parler assez librement des exaltations et désillusions de leur vie amoureuse, des attirances et rejets que leur inspirent les contacts sexuels. Elles comprennent plus vite que leurs homologues masculins que la séduction est faite de faux-semblants, et que la sexualité au bout de compte n’est pas un absolu. Incomplétude, ni positive ni négative, qui est au fondement du désir. S’il n’y a pas quelque chose qui manque, on ne désire pas.

LA DIFFÉRENCE DES GENRES
LE PASSAGE TRAUMATIQUE D’UN CONTINENT  À L’AUTRE 

L’importance des éléments culturels africains varie en fonction de plusieurs facteurs : la présence ou l’absence des familles, l’habitat originel – village, ville, ou capitale –, la formation scolaire qui les a introduits dans la logique occidentale de l’écrit, et la faculté personnelle d’adaptation. Toutefois, parmi les situations que j’ai été amené à suivre, l’élément transculturel le plus déterminant est la façon dont s’est effectué le passage des jeunes d’un continent à l’autre. Pour chacun d’eux, cette coupure toujours traumatisante revient de façon récurrente sous diverses formes dans leurs dires et leur comportement. Or, c’est sur cette arrête que s’enclenche généralement la thérapie d’un jeune.

Son éducateur voudrait qu’il ait un lieu pour en parler alors que c’est de cela dont il ne veut pas parler. Cette ambiguïté qui est au principe même des interventions « transculturelles », n’est jamais entièrement levée, mais relativisée de deux manières. Tout d’abord, je prends en charge ces rencontres en me rendant régulièrement voir le jeune sur son lieu de vie, et je lui signale au départ que c’est moi qui désire avoir des entretiens avec lui, et qu’à cet effet il peut les interrompre quand il veut à condition toutefois qu’on puisse au préalable en parler. Ensuite, lors des entretiens que je conduis, je pars toujours de la situation présente. Qu’est-ce que vous venez de faire ?  Et c’est par l’association d’événements à d’autres événements que ceux qui furent douloureux sont évoqués souvent de façon inattendue, et, ce faisant, progressivement désinvestis du savoir paradoxal et contraignant qui les sous-tend.

LE PASSAGE TRAUMATIQUE D’UN CONTINENT  À L’AUTRE 

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